Universités et Entreprises: un curieux dialogue de l'UE

Publié le par Marie-Christine Vergiat

Le vendredi 11 juin, j'ai été invitée à une rencontre-débat avec les élu(e)s FSU de l'Université Paris Sud 11-Orsay sur les politiques européennes en matière d'enseignement supérieure et notamment sur le Processus de Bologne et le fameux dialogue Universités-Entreprises.

Ci-après mon intervention lors du débat qui a été suivi par des échanges très intéressants.


Universités et Entreprises : un curieux dialogue de l'Union européenne

 

Le Processus de Bologne a été initié en 1998 par la Grande Bretagne, l'Allemagne, l'Italie et la France à l'occasion du 800ème anniversaire de la Sorbonne. Il a été lancé officiellement en 1999 par "29" pays dont 15 de l'Union européenne et la plupart de ceux qui l'ont depuis dénommé processus de modernisation et de réforme de l'Espace européen de l'enseignement supérieur (EEES), il s'est donné comme objectif de faire converger les systèmes d'enseignement supérieur en Europe d'ici 2010.

 

Aujourd'hui, 46 pays dont les 27 de l'Union européenne, en fait plus ou moins les membres du Conseil de l'Europe dont la Russie et même l'Andorre et le Saint Siège (ce qui n'est sans doute pas un hasard).

 

En théorie, il doit permettre des grades académiques facilement lisibles et comparables:

- l'harmonisation sur deux cycles un avant et un après la licence;

- la promotion de la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs;

- assurer la qualité de l'enseignement;

- la prise en compte de la dimension européenne de l'enseignement supérieur.

 

A Prague, en 2001, ont été ajouté:

- l'éducation et la formation tout au long de la vie;

- l'implication des établissements et des étudiants;

- l'attractivité en Europe et à travers le monde.

 

Le Processus de Bologne est un acte volontaire des pays puisque le texte du Conseil européen stipule seulement que " la Communauté contribue au développement de l'éducation de qualité en encourageant la coopération entre les Etats membres".

Autrement dit, on est pleinement dans le principe de subsidiarité qui laisse les Etats pleinement responsables du contenu et de l'organisation de leur système éducatif.

C'est d'ailleurs plus un processus du Conseil de l'Europe (appui sur sa convention culturelle de 1954) que de l'Union européenne, la Commission européenne est toutefois membre à part entière du groupe suivi tout comme l'ensemble des pays signataires alors que le Conseil de l'Europe et autres "parties prenantes" ne sont que membres consultatifs.

 

Dans ce groupe de suivi, on trouve l'Association européenne des universités, l'Union européenne des étudiants, l'Association européenne des institutions de l'enseignement supérieur (type établissements polytechniques qui se voit comme le reflet de l'enseignement supérieur professionnel), le Centre européen pour l'enseignement supérieur de l'UNESCO, l'ENQA (l'Association européenne pour la qualité de l'enseignement supérieur)  et qui représentent plus ou moins les administrations centrales des pays signataires, l'IE (Internationale de l'Education) et les organisations syndicales (11 pour la France a priori, tout le monde y est).

 

Les fondements même du processus de Bologne  ne sont pas critiquables en soi puisqu'ils insistent sur l'importance du développement culturel, scientifique et technique et le rôle des universités[1].

Ce qui l'est plus, c'est la façon dont il est mis en œuvre et notamment depuis qu'il a été intégré à la stratégie de Lisbonne et sa fameuse "Europe de la connaissance". C'est donc surtout la façon dont l'Union européenne le met en œuvre en l'intégrant dans un "cadre commun de références", pour reprendre le langage bruxellois.

En regardant le site de la Commission, vous pouvez y lire que "les politiques de l'éducation et de la formation ont pris de l'élan depuis l'adoption de la stratégie de Lisbonne, le programme global de l'Union européenne qui met l'accent sur la croissance et l'emploi.

Et je cite toujours: "La stratégie reconnait que la connaissance et l'innovation qui en résultent, constituent les atouts les plus précieux de l'Union européenne particulièrement dans le contexte de l'intensification de la concurrence mondiale. [...] l'éducation et la formation d'excellente qualité sont essentielles à la réussite de l'Europe. Elles doivent être une priorité dans un monde évoluant rapidement car sont la clé de l'emploi, de la solidarité de l'économie et offrent "quand même" à chacun la possibilité de participer pleinement à la société".

Le vocabulaire économique prévaut de plus en plus dans la façon dont l'Union européenne abonde ces sujets et cela m'a encore plus effarée lors du récent débat sur ce sujet au Parlement européen d'autant plus que ce débat était intitulé "Universités et entreprises" et que c'est quasi le seul débat sur les questions d'éducation que nous ayons eu depuis les élections européennes hormis un débat très général sur le fameux cadre communautaire.

On retrouve ce vocabulaire "libéral" dans le cadre de la Stratégie "Education et formation 2020" dont le principal objectif est le développement des systèmes d'éducation et de formation afin d'offrir à tous les citoyens de meilleures perspectives qui leur permettent de réaliser tout leur potentiel et d'assurer une prospérité et une employabilité durable.

Notons que l'objectif d'ici 2013 est de faire passer les sommes allouées à l'éducation par l'Union européenne à 1% du budget communautaire (contre 0.1% en 1986). Elles ont donc été multipliées par 10. Souhaitons que d'ici 2020, on fasse la même progression et que, d'ici là, les sommes consacrées par l'Union européenne à l'éducation atteignent 10% du budget communautaire. Je crains malheureusement que ce ne soit qu'un vœu pieux. 

 

Ces sommes sont consacrées à différents programmes de l'Union européenne:

- Socrates pour l'éducation,

- Leonard de Vinci pour la formation,

- tous les programmes d'échanges dont le fameux programme Erasmus pour les étudiants auxquels on a adjoint Erasmus Mundus (bourses aux étudiants et subventions aux établissements hors UE).

Erasmus a été créé en 1987 et deux millions d'étudiants y ont participé (objectif: 3 millions d'ici 2012, 90% des universités, 4.000 établissements, 31 pays ou un total de 440 millions d'euros, soit près d'un tiers des crédits consacrés par l'UE à l'éducation [7 milliards d'euros dans la programmation 2007-2013]).

- Comnenius pour le scolaire,

- Grundtvig pour l'éducation pour adulte,

- Jean Monnet pour l'intégration européenne,

- Tempus pour la modernisation de l'enseignement supérieur dans les établissements voisins (Balkans occidentaux, Europe de l'Est mais aussi Asie centrale et Afrique du Nord).   

Et si l'on examine les propositions de la Commission européenne dans le cadre de la Stratégie 2020 qui succédera à celle de Lisbonne, on trouve le renforcement de l'éducation dans le cadre de la lutte contre la pauvreté (seul endroit dans la Stratégie 2020 où il est question de pauvreté), la préoccupation vis à vis du décrochage scolaire et l'ambition de développer le nombre d'universités pour en faire de véritables moteurs de connaissance et de la croissance. Pour atteindre cet objectif, des investissements, des réformes et une plus grande coopération avec "le monde des affaires", ainsi qu'une plus grande ouverture au changement.

Et pour soutenir le processus de changement, on mettra en place une évaluation comparative avec les meilleures universités du monde.

Si l'on fait de caricature, mais à peine, on peut dire d'un côté les pauvres et de l'autre, les élites - pour ceux qui en ont les moyens d'ailleurs car on sait très bien que les soi-disant meilleures universités sont aussi les plus coûteuses pour les étudiants.

Pas un mot sur la question de l'accès du plus grand nombre.

Quant à la référence au seul monde des affaires, il m'avait déjà ulcéré dans le cadre de la communication de la Commission sur "Universités et entreprises".

Que devient de la liberté intellectuelle des universités si on les soumet aux seuls besoins du "monde des affaires", ce "monde" d'ailleurs qui nous mène  la catastrophe depuis trois ans.

Quid de l'innovation, si l'on prisme tout au travers des seuls besoins économiques.

Et on peut aussi s'interroger sur "l'ouverture au changement". De quel changement s'agit-il ? Ces changements sont pour le moins orientés alors que le rôle et la place des universités qui sont effectivement un véritable enjeu de société devraient faire l'objet d'un large débat public ouvert à l'ensemble des "parties prenantes" ou plus exactement à l'ensemble des acteurs économiques et sociaux.

Hors la méthode utilisée est loin d'être celle-là puisque l'on organise au contraire de "grands" séminaires dans lesquels il s'agit avant tout d'être à l'écoute des besoins des grandes entreprises.

Deux autres éléments intéressants de la façon de voir de l'UE peuvent être soulignés:

- il est toujours question de la gouvernance et notamment de la bonne gouvernance (comme dans les entreprises);

-dans les indicateurs, il est question de retour sur les investissements (là encore un vocabulaire qui en dit long).

 

Le système éducatif est accusé d'être trop coûteux, de ne pas répondre aux besoins économiques et de ne pas être compétitif.

Et la "modernisation" des universités doit avant tout se faire au bénéfice de l'économie.

Je cite une fois encore les textes européens et, en l'occurrence, la communication de la Commission de 2006 intitulée "faire réussir le projet de modernisation des universités". Il y est dit que: "les universités doivent affirmer leur rôle en tant qu'acteur économique, capable de mieux répondre et plus rapidement à ce que demandent les marchés et pour ce faire, développer des partenariats pour l'exploitation de la connaissance scientifique et technologique". La communication suggérait à cet effet, que les entreprises "aident" les universités à redéfinir leurs programmes et leurs structures de gouvernance et contribuent à leur financement.

Et c'est ainsi qu'en février 2008, a été créé le forum "Université-Entreprise" pour favoriser le dialogue entre "les deux mondes".

 

Une communication plus récente de la Commission (avril 2009) a été consacrée à ce fameux forum européen pour le "dialogue universités-entreprises". On peut lire que, dans de nombreux pays, le cadre juridique et financier n'encourage pas voire décourage les universités à se rapprocher du "monde des affaires".

Le déséquilibre entre les compétences des diplômés frais émoulus des universités et les qualifications que les employeurs recherchent y est dénoncé.

Pour ce faire, les universités doivent favoriser l'employabilité des étudiants et développer une attitude positive et ouverte envers le monde de l'entreprise en tant que "source de progrès, d'emploi et de bien-être".

Les solutions proposées vont de l'ouverture des chaires de professeurs à des entrepreneurs d'exception (sic) à des stages en entreprises pour les enseignants en passant par la participation des chefs d'entreprises et des représentants du monde des affaires aux conseils d'administration des établissements.  

Chacune de ces propositions n'est pas forcement scandaleuse en tant que telle, y compris que l'on peut comprendre la nécessité de favoriser l'insertion professionnelle des étudiants mais ce qui est insupportable, c'est le discours unilatéral.

Il paraît évident que l'université est le fer de lance de la réforme des systèmes éducatifs en Europe puisque le patronat demande que le fameux dialogue concerne également les établissements secondaires et ceux de la formation professionnelle (un séminaire sera organisé en automne par la Commission).

En fait, c'est la vision court-terme qui prédomine, la volonté de construire un marché commun de la connaissance, l'impossibilité de tirer des leçons de cette vision à court terme et de perdre conscience des dégâts provoqués.

Contrairement aux ambitions affichées, il n'y a nul pari sur l'éducation et la recherche, sur ce que cela comporte en termes d'acquisition des savoirs pour tous et pour toutes.

Alors que l'on se gargarise de mobilité et que l'on sait que la clé de celle-ci sur le plan professionnel passe en réalité par l'acquisition d'un "socle commun de connaissances", on tourne délibérément le dos à cette voix pour assurer des formations de plus en plus spécifiques, adaptées aux seuls besoins des entreprises, alors que l'on sait très bien au contraire, qu'en cas de coup dur, c'est justement ce socle de savoirs qui est la meilleure garantie pour retrouver un emploi.

Ce qui frappe aussi, c'est l'insuffisance de débats autour de ces questions pourtant fondamentales pour l'avenir de l'Europe.



[1] Il est important de savoir que ce mot désigne dans le langage européen tous les établissements d'enseignement supérieur et non les seules universités au sens français du terme en ce domaine.

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